‘La stratégie communautaire de Son Choix est un gage certain de durabilité’
Hortense Lougue/Kabore est directrice exécutive de l’Association D’appui et d’Eveil Pugsada (ADEP) à Burkina Faso. Hortense est engagée à mettre fin aux mariages d’enfants dans son pays. Mais est-ce encore possible, en ces temps de COVID et comment voit-elle l’avenir? Un entretien avec une femme qui est convaincue du pouvoir de la communauté elle-même: ‘Avec la sensibilisation des acteurs communautaires, la communauté prend le combat en main.’
Êtes-vous encore en mesure d’effectuer votre travail pendant cette période, et comment la pandémie a-t-elle changé cela?
L’année 2020 a été très mouvementée par les facteurs exogènes qui ont eu un impact sur le bon déroulement du programme. En effet la pandémie de la COVID-19 survenue en début mars au Burkina Faso a bouleversé le calendrier opérationnel des activités du programme. Pour faire face à cette situation, les huit partenaires locaux au Burkina Faso ont dû développer de nouvelles initiatives et stratégies.
La stratégie de mise en œuvre des activités du programme Son Choix au Burkina Faso a été repensée pour tenir compte des mesures barrières pour stopper la propagation de la maladie. La plupart des activités de sensibilisation grand public -par exemple les conférences, les théâtres fora, les causeries éducatives- a été transformé en émission radio. Les activités de renforcement de capacités ont été réalisées en plusieurs séances dont chaque séance de formation regroupait au maximum 10 participantes.
Il y a eu aussi des activités comme une création d’un groupe WhatsApp pour partager les initiatives et stratégies de mise en œuvre du programme avec stricte respect des mesures barrières. Il y avait aussi les vidéos conférences organisées par la coordination pour suivre l’évolution du programme dans les zones d’intervention mais aussi partager des idées pour la réalisation de certaines activités.
Quelle est l’ampleur du problème du mariage d’enfants dans votre pays?
Le mariage d’enfants est un problème mondial qui transcende les pays, les cultures, les religions et les ethnicités. La pratique existe aux quatre coins du monde, du Moyen-Orient à l’Amérique Latine, de l’Asie du Sud à l’Europe. Mon pays, le Burkina Faso occupe le 5ème rang mondial avec 52% de filles mariées avant 18 ans et 10% avant leur 15ème anniversaire. Cette situation est plus que déplorable.
Le Burkina Faso est confronté à plusieurs phénomènes (économiques, culturels et politiques) qui minent ses capacités de progrès et des pesanteurs sociales et culturelles liées à des pratiques et normes sociales et croyances culturelles préjudiciables à l’égalité de genre. Tous ces phénomènes influent durement sur l’épanouissement des femmes et des filles. Parmi ceux-ci nous pouvons citer le mariage d’enfants et les mutilations génitales féminines.
Quel aspect du programme Son Choix est le plus puissant pour aider à s’attaquer à ce problème, et pourquoi?
La stratégie communautaire me semble le plus puissant, plus important parce qu’avec la sensibilisation des acteurs communautaires, la communauté prend le combat en main. Tout ce qu’il faut faire, c’est innover dans la mise en œuvre, responsabiliser la communauté et utiliser une stratégie participative pour l’impliquer.
Au sein des communautés, suite aux actions du programmes Son Choix, des personnes s’engagent à nos côtés, organisent des réunions de sensibilisation mais aussi interpellent les communautés sur la gravité du mariage d’enfants lors de leur prédication/culte. Ceux-ci interviennent pour dissuader les parents lorsque surviennent des cas et les dénoncent en cas de besoin à l’autorité. Ceci constitue une grande avancée et un gage certain de durabilité.
Selon vous, quelle est l’importance de la lutte contre le mariage des enfants pour la vie d’une fille ou d’un garçon au Burkina Faso?
Je n’ai pas été personnellement victime de mariage d’enfants, ni de mariage précoce et forcé, mais j’ai vécu dans un environnement marqué par des normes et des pratiques sociales préjudiciables aux droits des filles et des femmes. Dans mon environnement, de nombreuses filles sont données en mariage sans leur consentement et avant d’avoir atteint la maturité : J’ai été témoin de l’exclusion sociale et familiale des filles, y compris des cousins, des amis et des connaissances qui ont refusé le mariage forcé. J’ai été témoin de l’abandon scolaire de mes camarades de quartier en raison de mariages forcés et de mariages d’enfants. La lutte contre le mariage des enfants est importante dans la mesure où elle favorise la participation des jeunes à des activités éducatives et protège leur éducation, leur développement et leur épanouissement dans la vie.
De quoi êtes-vous le plus fier?
L’intégration progressive du thème DSRR dans l’éducation. Les problèmes ne sont plus ceux d’individus ou d’organisations mais ceux de toute la nation, qui, espérons-le, mettra également à disposition des ressources suffisantes pour la réalisation de ces droits.
Un exemple est la mise en place des clubs des jeunes qui font la promotion de leur droit mais aussi ceux de leurs pairs, par exemple la dénonciation des cas de violences faites aux enfants surtout aux filles par les enfants eux-mêmes. Un autre développement important est l’intérêt que certains parents accordent maintenant à l’éducation sexuelle des enfants, comme l’accompagnement de certaines filles par leur parent dans les centres de santé pour des questions sur la sexualité.
Nous pensons également qu’il est important qu’il y ait une synergie entre l’école et le centre de santé grâce à des points d’écoute et des systèmes d’orientation et à un accueil adapté aux adolescents. Dans la phase à venir, un plaidoyer pourrait être fait auprès des autorités pour formaliser ce système et mettre des agents de santé à la disposition des adolescents et des jeunes. Nous espérons également réaliser des cadres de consultation mis en place entre les acteurs de tous les secteurs au niveau des municipalités. Il en va de même pour les cliniques mobiles, qui sont des consultations dans une modalité clinique délocalisée, qui contribuent à faciliter l’accès des élèves aux services de santé sexuelle et reproductive.
Avez-vous des espoirs pour l’avenir en étant capable de vous attaquer au mariage des enfants à l’avenir?
La plupart des actions très importantes ne peuvent se poursuivre sans soutien financier étant donné la fragilité du contexte actuel: la situation sécuritaire du pays, le fait qu’il s’agit d’une pratique traditionnelle qui nécessite la poursuite des activités de sensibilisation et le bien-être des victimes.
Son Choix a permis de mobiliser une large population autour du mariage des enfants. Cette population est désormais consciente de l’interdiction du mariage des enfants, mais l’ignorance, la pauvreté et les croyances culturelles ne lui permettent pas d’abandonner cette pratique. Cela nous oblige à continuer à rechercher des fonds pour pouvoir mener à bien nos actions de sensibilisation.